Dans ma chronique « Des factures qui font mal », publiée il y a quelques jours, une employée d’un cabinet de dentistes me faisait part de quelques stratagèmes utilisés par certains dentistes afin d’éviter à leurs patients la quote-part de la facture dont ils devraient, en principe, s’acquitter.

Visiblement, ce sujet vous a interpellés. Et divisés. Vous avez été très nombreux à réagir.

Dans le lot de courriels reçus, il y avait quelques dentistes outrés de voir que j’osais aborder ce sujet. « Il y avait longtemps qu’on n’avait pas tapé sur la tête des vilains dentistes », m’a écrit l’un d’eux. Une dentiste m’a même proposé de me « racheter » en écrivant une chronique « positive » sur sa profession.

Mais surtout, j’ai reçu un grand nombre de témoignages d’employés du secteur dentaire qui me disaient que ce que je décrivais est facilement observable. Et depuis des années.

« Pour avoir travaillé de longues années dans le domaine dentaire, il est exact de dire que la fraude existe », m’a écrit une professionnelle.

« Je suis dans le domaine depuis plus de 30 ans et ce que vous décrivez est monnaie courante, ajoute un autre. […] J’ai travaillé dans plus de 15 cliniques dentaires et seules 2 ou 3 ne surfacturaient pas. »

De son côté, un dentiste à la retraite depuis plus de 10 ans ajoute que les procédures frauduleuses évoquées dans ma chronique ne l’ont pas du tout « surpris ».

Mais plusieurs dentistes, et c’est l’aspect qui m’a le plus intéressé, m’ont parlé de l’énorme pression qu’ils reçoivent des patients qui veulent obtenir une « facturation créative » (expression utilisée par une dentiste).

Et quand un dentiste honnête refuse de se prêter au jeu, il n’est pas rare de voir ces patients aller vers un autre dentiste.

« Combien de fois des patients m’ont demandé de gonfler les traitements pour qu’ils n’aient rien à payer, m’a confié un dentiste. Lorsque je refusais d’agir ainsi, souvent je les perdais. »

Un dentiste m’a raconté qu’il reçoit « chaque semaine » des appels de patients qui demandent s’il est prêt à être payé uniquement avec ce qu’offre son assureur. « Cela met énormément de pression sur les dentistes et ça oblige certains d’entre eux à adopter des pratiques frauduleuses, particulièrement si leur pratique est fragile », m’a-t-il écrit avant d’ajouter que les « dentistes fraudeurs sont toutefois mal perçus par leurs pairs ».

Pour plusieurs professionnels, une partie de la solution se trouve dans un changement du mode de paiement. « C’est évident que l’idéal serait que les patients paient la totalité de leurs frais et se fassent rembourser par leur assurance », suggère l’un d’eux. Et il n’est pas le seul.

Plusieurs croient qu’il faudrait cesser le principe de la « délégation de paiement », comme le font maintenant d’autres professions. « Les dentistes sont beaucoup moins portés à gonfler la facture lorsque le patient doit la régler à sa sortie du cabinet », pense un dentiste.

Pourquoi, en effet, appartient-il aux dentistes de réclamer les frais aux compagnies d’assurance ? Ce nouveau procédé n’empêcherait pas entièrement la création de « factures créatives », mais enlèverait un poids sur les épaules des dentistes qui désirent être honnêtes.

J’ai voulu savoir si l’Ordre des dentistes du Québec était prêt à mettre de l’avant un tel changement. Je n’ai malheureusement pas eu de retour.

À travers les témoignages reçus, j’ai bien senti qu’une certaine révolution est souhaitée. Alors, qui doit prendre le flambeau ? L’Ordre des dentistes du Québec ? Les dentistes eux-mêmes ? Les assureurs ? Les réseaux (de plus en plus nombreux) de cabinets de dentistes ?

Une chose est sûre, si ce combat est mené, il doit mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Comment un honnête dentiste peut-il ensuite rivaliser avec des confères ou des consœurs qui acceptent d’« accommoder » des patients ?

Une employée qui a travaillé durant 23 ans pour une dentiste m’a raconté que sa patronne a toujours refusé de commettre des fraudes à la demande de ses patients. « Mais ça prend une forte personnalité et une grande motivation pour rester dans les normes », a-t-elle ajouté.

Une dentiste, qui exerce sa profession depuis 25 ans, m’a dit qu’elle avait fait le choix d’être honnête, car c’est comme cela qu’elle a été « élevée ». Mais cette dentiste sait pertinemment bien qu’il existe une catégorie de collègues qui ont choisi cette profession pour gagner beaucoup d’argent.

« Pendant ce temps, je me fais juger par monsieur et madame Tout-le-Monde qui pensent que je gagne 300 000 $ par année alors que c’est plutôt la moitié, écrit-elle. Mais évidemment, avec mon titre de docteur est venu celui de crosseur. »

Quand je vous disais que ce sujet divise tout le monde.