Une boisson végétale, du café à emporter, des boissons infusées au cannabis, du whisky, des eaux pétillantes, le brasseur était visiblement sérieux quand il a changé de nom pour devenir Molson Coors entreprise de boissons. Regard sur son nouveau visage.

Molson Coors à la recherche de la croissance perdue

Molson Coors se transforme dans l’espoir de renouer avec la croissance qui lui a fait défaut depuis 2017. Le brasseur industriel se diversifie dans les boissons à la mode, quitte à empiéter sur la propriété des Red Bull et autres géants. La popularité des eaux pétillantes alcoolisées à base de malt ouvre de nouvelles perspectives à défaut de fournir toutes les certitudes.

« Après 235 ans d’entreprise brassicole, on est en train d’écrire un nouveau chapitre dans l’histoire de cette entreprise qui est là depuis sept générations. C’est une source de motivation pour toute l’équipe », dit le président de Molson Coors Canada, Frederic Landtmeters, au terme d’un entretien d’une heure.

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Frederic Landtmeters, président de Molson Coors Canada

Après des années noires, Molson Coors pourrait bien avoir franchi un cap en 2021.

L’avenir dira si le pari audacieux de se transformer en une entreprise de boissons est relevé. Entre-temps, le fabricant lance une kyrielle de concoctions. C’est particulièrement le cas aux États-Unis : eaux pétillantes (seltzer) alcoolisées Vizzy et Topo Chico (en partenariat avec Coca-Cola), boisson énergisante Zoa (en partenariat avec l’acteur Dwayne Johnson), kombucha (Clearly Kombucha), boisson végétale Golden Wing, soda avec probiotiques Huzzah, café glacé (La Colombe) et téquila en format prêt-à-boire (Casa Komos). Et tout dernièrement, le whisky Five Trails à 60 $ US la bouteille.

Résultat : le chiffre des ventes de Molson Coors s’est remis à croître en 2021, d’environ 5 % selon les prévisions de l’entreprise.

Une cible qui serait atteinte malgré la crise sanitaire et grâce à la catégorie des eaux pétillantes alcoolisées, dont les ventes ont bondi de 89 % pour la périodede 52 semaines s’étant terminéele 16 mai 2021 aux États-Unis, à plus de 4,3 milliards US, selon des données d’Information Resources, citées dans Beverage Industry.

Une croissance du chiffre d’affaires qui fera contraste avec les dernières années, où les ventes de Molson ont glissé, passant de 11 milliards US, en 2017, à 9,7 milliards, en 2020.

Comment expliquer ses malheurs ? Les amateurs invétérés de bière prennent de l’âge et lèvent le coude moins souvent tandis que les millénariaux boudent la bière industrielle, lui préférant notamment les bières artisanales, le cidre et les boissons alcoolisées sucrées à base de spiritueux ou de malt.

Ce désintérêt de la clientèle ne pouvait pas plus mal tomber. Il a coïncidé avec le moment où le brasseur a dû s’endetter jusqu’aux oreilles pour racheter les participations qu’il ne possédait pas déjà dans la brasserie Miller. Si cette acquisition de 12 milliards US (encouragée par le bureau américain de la concurrence à la suite de la fusion entre Anheuser-Busch InBev et SABMiller) a permis de consolider Molson Coors dans son statut de brasseur numéro 2 aux États-Unis, elle a eu pour effet de placer Molson dans la situation où elle disposait de moins d’argent pour rembourser une dette gonflée à l’hélium.

En Bourse, les investisseurs ont pris leurs jambes à leur cou, le titre passant d’un prix de 148 $ l’action (TPX. B, à Toronto) en octobre 2016 pour tomber à 43 $ en octobre 2020, bien en deçà de sa valeur comptable d’environ 75 $.

Au plus fort de la première vague de la pandémie, on s’est alors mis à craindre le pire avec la fermeture prolongée des bars et des restaurants dans ses principaux marchés : États-Unis, Canada et Royaume-Uni. Pire, la suspension de son dividende en mai 2020 pouvait être interprétée comme le signe précurseur d’une crise de liquidités à venir. (Le dividende trimestriel a depuis été rétabli.)

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La popularité des eaux pétillantes alcoolisées a permis à Molson de rêver à des jours meilleurs.

Explosion des ventes d’eaux pétillantes alcoolisées

La popularité des eaux pétillantes alcoolisées a changé le paysage. Reste à voir si la tendance au beau temps sera durable. « Il y a une tendance dans le monde de l’alcool qui est la recherche des produits qui se rapprochent d’un bien-être général, que ce soit à travers une réduction de glucides, de sucre et de calories sans faire de compromis sur le plan des saveurs, du goût et de la qualité du produit », dit M. Landtmeters, d’origine belge, qui s’exprime dans un excellent français.

L’ajout d’eaux pétillantes dans le portefeuille de produits de Molson s’inscrit dans une stratégie de diversification, certes, mais aussi de montée en gamme du portefeuille, ce que M. Landtmeters appelle sa « premiumisation ». Récemment, le brasseur a annoncé la fin de la commercialisation de 11 marques de bière économiques aux États-Unis. Les sommes épargnées serviront à soutenir les nouveaux produits.

Le brasseur industriel est devenu une machine à lancer des produits en 2019 à la suite du rachat de 49 % des parts d’un incubateur à nouvelles boissons non alcoolisées : L. A. Libations. « On voulait être plus proches de la source de ces concepts novateurs qui deviennent les grosses marques de demain », souligne le numéro 1 de l’entreprise au pays. En échange, Molson Coors leur offre la distribution à grande échelle.

L’entreprise contrôlée par les familles Molson et Coors poursuit maintenant l’objectif de tirer 10 % de ses revenus de ses nouveaux produits d’ici quelques années, soit environ 1 milliard US. Elle a créé la division croissance à cette fin.

« Quand on a annoncé notre transformation en une entreprise de boissons, explique M. Landtmeters, on s’est dit qu’on n’allait pas nécessairement se limiter à certaines catégories. On explore beaucoup de catégories et je pense qu’à un certain moment, il y aura un mouvement de priorisation. On voit déjà au Canada une mise en place de priorités », ajoute-t-il quand on lui parle du risque de courir trop de lièvres à la fois.

En effet, ne cherchez pas le café Molson au Canada, vous ne le trouverez pas. La division canadienne met le paquet sur les eaux pétillantes alcoolisées à base de malt avec le lancement national des marques Vizzy et Coors Seltzer au printemps.

Avec toutes les réserves qu’il faut que je vous donne parce qu’on n’est dans le marché que depuis cinq ou six mois, franchement, ce que j’ai vu sur le plan de l’impact et de la réponse des consommateurs, je n’ai jamais vu ça en cinq ans ici, au Canada, et je ne pense pas avoir vu ça très souvent dans ma carrière.

Frederic Landtmeters, chef de la direction de Molson Coors Canada

Une production que Molson Coors cherche à rapatrier à l’interne

L’annonce s’accompagnait d’un investissement de 100 millions US pour rapatrier la production des eaux pétillantes à l’usine Molson Coors de… Toronto. Les syndiqués de Montréal s’interrogent sur la place qu’occuperont les nouvelles boissons à la nouvelle usine de Longueuil qui sera inaugurée en 2022.

« Si Molson construit une chaîne de production à Toronto, ce n’est pas pour la déménager éventuellement à Montréal », fait savoir Éric Picotte, président de la division Molson du syndicat des Teamsters 1999.

« Dans un premier temps, on a annoncé un investissement à l’usine de Toronto. À l’avenir, je n’exclus pas que ces produits soient fabriqués à Longueuil, dit M. Landtmeters, cherchant à se faire rassurant. Les alcomalts comme Mad Jack, et il y en aura d’autres, seront fabriqués à Longueuil. Après la transition [dans la nouvelle usine], on verra pour les eaux pétillantes. »

Quoi ? De l’eau pétillante alcoolisée !

Chez nos voisins du Sud, on parle de hard seltzer, de spiked seltzer ou de hard sparkling alcohol water pour désigner la catégorie des eaux pétillantes alcoolisées.

Les boissons prêtes à boire à base de spiritueux ou à base de malt ne sont pas nouvelles en soi. Molson Coors brasse la Mad Jack, une boisson de malt à saveur de fruits, depuis 2015.

Les seltzers se démarquent des coolers, des poppers et autres boissons aromatisées par leur couleur transparente, leur faible teneur en glucides et en sucre. Ils contiennent environ 40 % moins de calories (90 calories pour une canette de 355 ml) qu’une bière normale à 150 calories.

Aux États-Unis, les deux produits les plus vendus sont le White Claw, de Mark Anthony Brands International, et le Truly, de Boston Beer. Ils détiennent pour le moment 75 % du marché, rapportait NielsenIQ en juin 2021.

L’eau pétillante alcoolisée a fait son apparition à Westport, au Connecticut, en 2013. L’engouement a commencé à devenir perceptible à partir de 2018 aux États-Unis. Depuis, ça explose, les ventes atteignant 4,3 milliards US en rythme annuel, répartis parmi 220 marques et 1000 produits.

Au Canada, la catégorie a véritablement commencé à exister en 2019, dit Frederic Landtmeters, président de Molson Coors Canada, et encore plus tardivement au Québec.

Le patron de Molson Coors Canada en six citations

La Presse a discuté avec Frederic Landtmeters qui dirige les activités de l’entreprise au Canada. Il a été question de la stratégie d’entreprise, de l’arrivée des eaux pétillantes alcoolisées au Québec et des résultats modestes obtenus jusqu’à présent dans la vente de boissons infusées au cannabis.

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Frederic Landtmeters, président de Molson Coors Canada

Sur la pertinence de la diversification du portefeuille

« Depuis le début, il y a eu des sceptiques par rapport à notre stratégie. Notre stratégie de revitalisation mise en place, y compris la transformation vers une entreprise de boissons, la stratégie de nous concentrer sur nos grosses marques, sur la premiumisation, sur le segment en dehors de la bière, je ne peux pas être plus convaincu que c’est la bonne stratégie. »

Sur les dangers à concurrencer les Red Bull et Coca-Cola

« Notre rôle n’est pas de copier ce qu’ils font. Quand on est entrés dans le segment des boissons énergisantes aux États-Unis, je pense que si on n’avait rien pour nous différencier des grosses marques [RedBull, Monster], on n’y serait pas allés. On croit que dans la proposition de Zoa [qui mise sur des ingrédients naturels], il y a suffisamment d’éléments de différenciation qui nous permettront de gagner dans un segment qui, à notre avis, va se développer et va devenir suffisamment grand pour avoir du sens pour une entreprise comme la nôtre. »

Sur le potentiel de la catégorie des eaux pétillantes alcoolisées

« L’opportunité s’est présentée à nous d’être un des joueurs à miser gros sur le marché du Québec, où cette catégorie n’existait pas vraiment. Ce qui existait au Québec, c’étaient des alcomalts plus sucrés. Dans notre esprit, cette catégorie a le même potentiel au Québec qu’ailleurs en Amérique du Nord. On y va avec deux marques [Vizzy et Coors Seltzer]. On y croit. »

Sur le lancement éventuel d’autres boissons au Canada

« Je nous trouve assez chanceux au Canada d’avoir pu lancer des seltzers dans un marché moins développé qu’aux États-Unis. Ça nous permettra de prendre une plus grosse part de marché. Je préfère me concentrer sur les eaux pétillantes et aller jusqu’au bout de cette opportunité plutôt que de faire un mouvement de rattrapage et de lancer des produits en parallèle aux États-Unis. Je pense de toute façon qu’on y viendra à un certain moment […] Vous avez vu la boisson énergisante Zoa, qui a été un concept qui a été lancé avec grand succès [aux États-Unis] et qu’on va certainement envisager, comme tous les autres concepts, pour le Canada si ç’a du sens. »

Sur la stratégie dans la bière

« L’enjeu est de continuer à rendre cette expérience intéressante, intrigante, et de continuer à innover, mais le faire dans le segment des superpremiums. C’est pour ça qu’au Québec, on a fait des investissements substantiels derrière les marques Trou du diable et Brasseurs de Montréal, qui sont en croissance explosive, au chapitre de la distribution de ces produits et dans l’augmentation de la capacité de production. »

Sur les boissons infusées au cannabis

« Les produits ont été lancés au deuxième trimestre 2020 en pleine pandémie, pas des circonstances idéales. Dans le segment des boissons infusées au cannabis [notre coentreprise avec Hexo] Truss s’est profilée comme leader des boissons infusées au cannabis dès le départ et c’est une position qu’on tient toujours. Mais je ne vous cache pas que nos ambitions sur le plan de la taille de cette catégorie sont plus grandes que ce qui a été obtenu jusqu’à présent. L’enjeu est que les réseaux de distribution se limitent aux magasins de cannabis comme la SQDC au Québec. On ne peut pas les vendre dans les bars et restaurants ni dans les grandes surfaces. »