Il reste encore quelques formalités à régler avant son entrée en vigueur, mais on peut maintenant dire qu’il existe, au Canada, un code de conduite pour assainir les relations entre les épiceries et leurs fournisseurs, à couteaux tirés depuis longtemps. Après deux ans de travaux initiés par Québec, son contenu a été dévoilé vendredi. Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, est convaincu que tous les consommateurs vont en bénéficier.

Il fallait être particulièrement optimiste pour croire que ce jour arriverait.

D’ailleurs, c’est dans un grand éclat de rire révélateur que le ministre André Lamontagne a convenu qu’il avait rencontré « beaucoup de scepticisme » et qu’il avait dû composer avec « une partie de l’industrie pour laquelle il n’y a pas de problème ».

C’est dans ces conditions qu’il a réussi à convaincre Ottawa et ses homologues des autres provinces de l’importance d’encadrer les pratiques commerciales entre des entreprises privées. Aussi a-t-il amené les détaillants et leurs fournisseurs à écrire ce code ensemble malgré leurs différends. L’embauche d’un médiateur a certainement été une décision judicieuse.

« Il fallait garder les gens mobilisés et les yeux sur la balle. Dès que quelque chose pouvait faire dérailler le processus, c’était pris en charge », m’a-t-il confié au téléphone.

Au fil des mois, huit versions du code ont été pondues. Les ministres de l’Agriculture de tout le pays ont pris connaissance du résultat vendredi. Il ne reste qu’un peu de peaufinage à faire dans le texte. Une consultation doit se tenir en février et l’entrée en vigueur est prévue pour le début de l’été.

Jusqu’ici, le projet a coûté 600 000 $, une facture partagée également entre Québec et Ottawa uniquement.

En améliorant le sort des 2500 entreprises de la province qui les nourrissent, le code de conduite profitera à tous les Québécois, soutient André Lamontagne. « Si la chaîne [d’approvisionnement] est vraiment en santé, ça veut dire que le consommateur va avoir les bons produits au bon prix. » Cela favorise aussi l’innovation, la création de nouvelles entreprises et l’investissement.

Le code sera « obligatoire », même si l’adhésion y sera volontaire dans la mesure où elle ne sera forcée par aucune loi. Les élus croient que toutes les entreprises concernées (détaillants, transformateurs, distributeurs, grossistes, exploitants agricoles) voudront monter dans le train pour soigner leur image. Si une large participation n’est pas obtenue, ou si elle s’effrite au fil des ans, il faudra trouver une solution.

Le texte indique par exemple que les parties « ont l’obligation de négocier et de conclure des accords par consentement mutuel » et qu’elles « ne peuvent pas modifier les contrats de manière unilatérale », ce qui est une source d’irritation majeure pour les fournisseurs, actuellement. Quand une déduction est appliquée sur une facture, le détaillant devra « fournir une justification raisonnable, suffisamment détaillée et dans un format efficace pour la vérification ». Oui, il faut un code pour des choses comme ça.

On créera le Bureau d’arbitrage du code des épiceries (BACE), un organisme sans but lucratif autofinancé par les membres qui emploiera un peu moins de 10 personnes. Son mandat sera de conseiller l’industrie et de régler les différends au moyen de la médiation ou d’arbitrages.

Tout aussi important, le BACE jouera aussi un rôle de surveillant. À ce titre, il publiera des rapports publics qui doivent détailler les pratiques observées dans le marché et suggérer des mesures correctives. Un peu à l’image des rapports du vérificateur général.

À terme, ce que ça va faire, c’est d’exposer au grand jour des sensibilités ou des façons de faire qu’il y aurait lieu d’améliorer au bénéfice de tout le monde. Ça va avoir un impact positif.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture

Reste à voir le mordant de ces rapports. Y nommera-t-on des entreprises ?

Une histoire comme celle des chips Lay’s, disparues des magasins du groupe Loblaw (Maxi, Provigo, Pharmaprix) l’an dernier après une dispute sur les prix y serait-elle évoquée avec moult détails croustillants ? Donnons la chance au coureur.

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On ne peut pas dire que les grandes chaînes de supermarchés ont bonne réputation ces temps-ci.

Presque 80 % des consommateurs pensent qu’ils profitent de l’inflation pour s’enrichir indûment, selon un sondage AngusReid mené en août. Leurs profits sont scrutés à la loupe par les médias. Leurs dirigeants ont été forcés de répondre aux questions des élus, à Ottawa, qui les soupçonnent d’exagérer.

Leurs fournisseurs ne sont pas plus sympathiques à leur cause. Ils dénoncent depuis au moins 2005 les frais de toutes sortes qui leur sont imposés sans négociation et le déséquilibre dans le rapport de force. J’écrivais encore sur cette question vendredi.

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Dans ce contexte, l’adhésion au code des géants Loblaw, Sobeys (IGA), Metro, Walmart et Costco les aidera sans doute à redorer un peu leur blason.

À l’origine du code

Pour la petite histoire, c’est une décision de Walmart dévoilée dans La Presse qui est à l’origine du code.

En juillet 2020, pendant que vous étiez peut-être en vacances, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne, a accroché sur cette nouvelle : « Investissement de 3,5 milliards : une note salée pour les fournisseurs de Walmart ».

Dans ce texte, j’expliquais que le géant américain avait annoncé à ses fournisseurs qu’ils devraient financer une partie des investissements majeurs prévus dans ses grandes surfaces et son site web. Les chèques reçus de Walmart seraient tout simplement amputés d’un certain pourcentage à partir d’une date donnée.

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André Lamontage avait commenté l’affaire sur Twitter, se disant « déçu » de Walmart. La cheffe de l’opposition officielle de l’époque, Dominique Anglade, avait demandé au détaillant « d’être un citoyen corporatif respectueux ».

« À la CAQ, monsieur économie, c’est le premier ministre. Le lendemain de la nouvelle, je lui ai demandé s’il allait faire quelque chose avec Walmart et il m’a dit de m’en occuper. Je me suis reviré de bord et j’ai commencé à en parler à mon équipe et aux fonctionnaires », m’a raconté M. Lamontagne.

Il faut dire que cette contribution surprise et forcée survenait dans le contexte où la pandémie était déjà difficile à gérer pour les usines de transformation alimentaire et les agriculteurs qui peinaient à faire venir des travailleurs étrangers.

L’effet domino tant redouté n’avait par ailleurs pas tardé. United Grocers inc. (UGI), qui négocie les prix pour 6500 magasins Metro, Couche-Tard et Dollarama, notamment, a prévenu les fournisseurs qu’elle s’attendait à bénéficier des mêmes rabais que ceux « consentis » à Walmart.

André Lamontagne a rapidement rencontré Metro, IGA, Loblaw, les producteurs maraîchers et d’autres. L’élu s’est ensuite donné comme mission de convaincre le gouvernement fédéral et les provinces que l’enjeu des frais imposés par les détaillants était assez important pour le mettre à l’agenda des rencontres nationales.

En parallèle, Sobeys s’est prononcée en faveur d’un code, tandis que Metro jugeait la chose non nécessaire, tout comme le Conseil canadien du commerce de détail. Tout le monde s’est finalement rallié à l’idée. Un rapport1 est venu confirmer l’été dernier qu’il y avait des problèmes à régler dans l’industrie agroalimentaire au pays.

Nous voilà, 30 mois plus tard, avec un code inspiré de celui du Royaume-Uni qui devrait donner espoir aux entreprises concernées et à leurs dizaines de milliers d’employés.

Consultez le rapport « Les frais imposés par les détaillants dans l’industrie alimentaire canadienne »