lundi 26 avril 2021

La partie qui plaide qu'un contrat est d’adhésion doit faire la preuve de l’impossibité de négocier les stipulations essentielles de ce contrat

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

L'article 41 du Code de procédure civile prévoit que la clause d'élection de for en faveur d'un district québécois particulier peut être mise de côté lorsqu'il s'agit d'un contrat d'adhésion. Or, comme nous l'avons déjà souligné, pour pouvoir plaider contrat d'adhésion, il faut démontrer que l'on a tenté en vain de négocier les conditions essentielles du contrat. L'Honorable juge Tiziana Di Donato rappelle la règle dans l'affaire récente de 4240073 Canada inc. c. Boutique WLKN inc. (2021 QCCS 1557).


Dans cette affaire, la juge Di Donato de l'exception déclinatoire des Défenderesses qui plaident que le recours en recouvrement de loyers intenté par les Demanderesses dans le district de Montréal doit être renvoyé dans un autre district. Les Défenderesses font valoir que la clause d'élection de for est sans effet puisque contenue dans un contrat d'adhésion.

La juge Di Donato rappelle d'abord les principes juridiques qui gouvernent la qualification d'un contrat comme en étant un d'adhésion. Elle souligne que le fardeau pèse sur les Défenderesses de démontrer l'impossibilité de négocier les stipulations essentielles du contrat:
[10] Dans son ouvrage Les Obligations, l’auteur Vincent Karim précise la portée des conditions requises par l’article 1379 C.c.Q. pour qualifier un contrat d’adhésion et les critères retenus par la jurisprudence pour déterminer si les conditions sont rencontrées :
566. La disposition prévue à l’article 1379 C.c.Q. énonce la nécessité de remplir deux critères : le premier est lié au fait que les dispositions essentielles du contrat en question soient rédigées et imposées par l’une des parties à l’autre alors que le deuxième critère a trait à l’impossibilité de cette dernière de discuter ou de négocier ces stipulations essentielles. Il semble que le deuxième critère soit plus déterminant que le premier lorsque vient le temps de qualifier un contrat d’adhésion, car le contrat peut avoir été rédigé au préalable par une partie, mais ensuite faire l’objet de négociation à la demande de l’autre. Par contre, est d’adhésion, le contrat conclu par une entreprise avec une personne qui ne lui laisse aucune ouverture à la négociation. […] En l’absence de ces deux conditions, on ne peut conclure à la caractérisation du contrat d’adhésion. […]

1) L’imposition des stipulations essentielles du contrat par l’une des parties

567. En ce qui concerne le premier critère, il convient de mentionner que celui-ci porte sur les stipulations essentielles du contrat, qui doivent être imposées par l’une des parties, et non pas sur celles qui seraient de nature secondaire ou accessoire. L’article 1379 C.c.Q. précise que ces clauses peuvent être imposées par l’une des parties, rédigées par elle, ou encore pour son compte ou en suivant ses instructions. Le terme « imposer » utilisé à cet article se réfère à une situation factuelle où il y a une impossibilité réelle pour l’une des parties de négocier librement les conditions essentielles du contrat envisagées alors que ces conditions ont été rédigées par l’autre partie. Ainsi, lorsque l’opportunité de proposer des modifications aux stipulations essentielles du contrat n’a pas été effectivement offerte au demandeur, la qualification du contrat comme étant d’adhésion ne doit pas rencontrer de difficultés. […]

568. Par contre, lorsque, suite à des négociations, l’autre partie réussit à introduire aussi dans le contrat certaines clauses essentielles, il serait difficile de conclure que le contrat a été imposé par une seule partie. Il en est ainsi lorsqu’un locataire d’un bail commercial réussit à négocier et imposer plusieurs clauses essentielles du contrat, telles que la durée du bail, le loyer et les clauses relatives à son renouvellement. Il s’agit donc d’un contrat négocié de gré à gré et non pas d’un contrat d’adhésion, car les stipulations essentielles du bail n’ont pas été imposées par l’une des parties à l’autre.

[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[11] L’auteur rappelle également qu’il appartient à la partie qui invoque le caractère d’adhésion du contrat de faire une preuve démontrant que le deuxième critère prévu à l’article 1379 C.c.Q. est rempli, soit l’impossibité de négocier les stipulations essentielles du contrat avec l’autre partie, d’y proposer des modifications et le refus de négocier de la partie cocontractante. En l’absence de cette preuve, le contrat ne peut être qualifié d’adhésion, mais plutôt de gré à gré. Enfin, il rappelle que le Tribunal possède un large pouvoir discrétionnaire en matière de qualification des contrats, un exercice qui doit tenir compte des circonstances ayant entouré la conclusion du contrat et les conditions requises par l’article 1379 C.c.Q.
Après analyse de la preuve qui lui est offerte, la juge Di Donato en vient à la conclusion que les Défenderesses ne se sont pas déchargées de leur fardeau et que l'exception déclinatoire doit donc échouer:
[15] La preuve démontre que le Bail-DIX30 n’est pas un contrat d’adhésion, la défenderesse n’ayant pas réussi à démontrer qu’elle a été dans l’impossibilité réelle de discuter et de négocier librement les stipulations essentielles du Bail-DIX30. 
[16] La preuve documentaire corrobore au contraire les prétentions des Locateurs-DIX30 et révèle que la défenderesse a eu l’opportunité de proposer des modifications aux stipulations essentielles de l’Offre de location et que certaines de ses propositions ont été acceptées ou négociées à l’avantage de la défenderesse. 
[17] En effet, les échanges de courriels entre messieurs Desourdy et Mercier démontrent que plusieurs clauses principales de l’Offre de location ont été librement discutées et négociées par les parties entre les mois de mars et juillet 2014, lesquelles portaient notamment sur le loyer, la période de loyer gratuit, l’emplacement, le terme, l’allocation d’aménagement et l’exploitation par la défenderesse et sur l’ouverture des lieux loués en dehors des heures d’affaires édictées par les Locateurs-DIX30. Ces échanges de courriels démontrent que la défenderesse a d’ailleurs réussi à négocier à la baisse le loyer payable et à réduire le terme du Bail-DIX30. 
[18] Le loyer et la durée du Bail-DIX30 sont des stipulations essentielles et elles n’ont pas été imposées par les Locateurs-DIX30. 
[19] Plusieurs versions de l’Offre de location ont également été échangées entre les parties et plusieurs des modifications proposées par l’avocat de la défenderesse concernant notamment les travaux à être exécutés à la façade-avant et l’opération continue des lieux loués ont été acceptées par les Locateurs-DIX30. 
  Référence : [2021] ABD 163

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Notre équipe vous encourage fortement à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions à propos de nos billets. Cependant, afin d'éviter les abus et les dérapages, veuillez noter que tout commentaire devra être approuvé par un modérateur avant d'être publié et que nous conservons l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.