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Quelques problèmes avec l’histoire du jeune qui va «nettoyer les océans»

Photo: The Ocean Cleanup

L’internet s’est encore enflammé cette semaine à propos d’un de ses chouchous favoris, Boyan Slat, ce Néerlandais de 20 ans qui affirme pouvoir nettoyer le plastique des océans avec une technologie qu’il a mise au point.

M. Slat, pdg de l’entreprise The Ocean Cleanup («Le Nettoyage des océans») a affirmé le 20 mai que son système allait finalement être déployé en 2016. Et toute une gamme de médias d’encore une fois chanter les éloges de ce jeune génie.

En bref, sa technologie consiste en des stations ancrées aux fonds marins desquelles sont déployées d’immenses perches flottantes (on parle de 2000m de long pour le projet pilote) qui capteront le plastique à l’aide des courants. Selon M. Slat, la technologie est simple et utilise très peu d’énergie. Le plastique peut ensuite être recyclé, croit-il.

Des doutes soulevés

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Ce qu’on oublie souvent de mentionner, c’est que des gens très qualifiés doutent sérieusement que son système aura un véritable impact sur le plastique marin. Pire, des doutes assez crédibles ont été émis quant à la technologie elle-même.

Selon ce que rapportait Rue89, Bruno Tassin, du Laboratoire eau environnement et systèmes urbains (LEESU), affirme que «le projet ne traite qu’une infime partie du problème. Boyan Slat propose de nettoyer 140 tonnes de déchets dans l’océan, mais rien qu’en Europe, on en produit 25 millions par an…»

De plus, le projet de M. Slat ne fonctionne qu’avec les morceaux de plastique de plus de 2cm, mais les scientifiques consultés par Rue89 parlent plutôt d’une «soupe de plastique» composée de micro-déchets.

Le jeune pdg affirme que son système a l’avantage de ne pas affecter la vie animale. Selon lui, les animaux marins pourront nager sous les perches, puisqu’elles ne sont pas très profondes. Consulté par la BBC, le Dr Jan Andries van Franeker de l’Institute for Marine Resources and Ecosystem Studies, y voit autrement. Selon lui, les oeufs des poissons, qui, eux, flottent à la surface, seront retenus par les perches, où des oiseaux les mangeront. Cela a pour effet «d’éliminer les oeufs de poisson, ainsi que le plastique», selon lui.

Ouain. Pas super, disons.

Mais la technologie fonctionne-t-elle?

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The Ocean Cleanup a publié le 3 juin 2014 une imposante (528 pages! Ça doit être sérieux!) étude de faisabilité pour son système.

La Dre Kim Martini, océanographe à l’Université de Washington, et sa collègue Dre Miriam Goldstein, océanographe biologique qui a étudié l’impact du plastique océanique, ont examiné le projet pour le compte du site Deep Sea News.

Leur verdict: «Nous croyons que The Ocean Cleanup a un désir sincère d’aider les océans, écrivent-elles. Par contre, certaines sections de l’étude de faisabilité sont incomplètes et/ou inexactes.»

Ouch.

Parmi leur critiques:

  • L’étude utilise des vitesses de courant moyennes plutôt qu’extrêmes pour estimer les limites d’opération. «Cela ne sont pas de bonnes valeurs sur lesquelles on peut baser des spécifications d’ingénierie», écrivent-elles. Autrement dit, si les courants sont plus forts que la moyenne, le truc risque de briser. Oups.
  • L’étude n’a pas pris en compte le fait que la vie marine se développera sans doute sur la structure. Cela aurait pour effet d’affecter l’hydrodynamie du système, et, pour une technologie qui utilise les courants pour fonctionner, c’est un problème. En fait, les chercheures croient que les perches pourraient se détacher, puisque le design actuel ne prend pas en compte le poids additionnel des formes de vie qui feront de l’installation leur maison.
  • Des chapitres sur le design des perches, sur les impacts environnementaux du système, sur la capture par inadvertance d’animaux et sur la relation entre le système et les lois maritimes n’expliquent en rien comment The Ocean Cleanup entend faire face à ces sérieux problèmes.

Et ainsi de suite.

Vous pouvez lire le rapport pour vous-même, mais l’inspecteur viral vous laisse avec une dernière conclusion des chercheures:

Le système dépend d’une estimation que la plupart des débris plastiques flottent à moins de 3m de la surface. C’est faux. Les vents peuvent mélanger le plastique de surface jusqu’à des profondeurs de 100m, affirment-elles.

Et le plastique qui sera capté?

Il sera impossible de le recycler, estime François Galgani, de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, lors d’une entrevue avec Rue89. Le plastique qui flotte dans l’océan est érodé et «sans valeur», explique-t-il.

En d’autres mots, la prémisse même de la technologie ne fonctionne pas comme l’affirme le concepteur.

Avec toute l’intelligence, la motivation (et le sens du marketing) que possède ce jeune homme, l’inspecteur suspecte que nous entendrons souvent parler de Boyan Slat. Mais voilà: pour le moment, les médias semblent s’être emportés, tel des morceaux de plastique voguant au gré des courants marins (poétique, non?).

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